Le lavoir du Rago

 

Les lavoirs collectifs en pierres maçonnées datent pour la plupart du début du 19ème siècle. Dans un souci d’hygiène, la loi du 3 février 185I accordait une subvention aux mairies pour la construction de lavoirs en bordure des points d’eau. C’est sans doute de cette époque que date celui du Rago. Rattaché aux villages de Saint-Julien et de Kernavest, il faisait partie des nombreux lavoirs collectifs de Quiberon qui ont aujourd’hui disparu dans les années 60. De grands lavoirs couverts, comme ceux de La Bonne Fontaine, derrière le boulevard Chanard, et celui du Goviro à l’emplacement du Sofitel, ou d’autres plus modestes comme celui du Porigo, près du monument aux émigrés de Port-Haliguen, ont été comblés pour faire des parkings, sans que l’on ait eu conscience de leur intérêt patrimonial. Il reste donc, à Quiberon, deux lavoirs collectifs de cette époque, celui de Port Kerné et celui du Rago.

 

Ce dernier, longtemps envahi par les ronces et les saules, n’a dû son salut qu’à sa situation, dans le vallon broussailleux, au bas de la colline du Manio, qui l’a longtemps protégé de la spéculation foncière et immobilière. Sa restauration a été entreprise en 2007, à l’initiative de Monique Boixel, par un groupe de bénévoles de l’association « L’Agapanthe » qui y ont établi un jardin dans lequel il est agréable de se promener, bien que la colline du Manio, l’un des points culminants de l’endroit, autrefois couverte d’ajoncs et de bruyère, ait été excavée pour la construction du port de plaisance, avant de devenir aujourd’hui la déchetterie.

 

Même si quelques belles pierres ont été dérobées par des gens sans scrupules, l’endroit, aujourd’hui dégagé, donne une bonne idée de ce qu’était, avant-guerre, un lavoir collectif. La fontaine à dôme alimente un bassin dont l’eau s’écoule dans le lavoir, avant de poursuivre sa course, sous forme de ruisseau, vers l’étang du Vahidy, aujourd’hui comblé, pour déboucher, à Saint-Julien, sur la plage du même nom où il creuse toujours dans le sable ses sillons. Le lavoir, au fond parfaitement étanche, entouré de larges pierres cimentées, légèrement inclinées, accueillait les lavandières par un petit chemin empierré qui en faisait le tour et rejoignait, entre les murets de pierres sèches, les villages de Saint-Julien à l’est et de Kernavest à l’ouest. Les villageoises y arrivaient avec leur brouette chargée du baquet de linge sale et de la lessiveuse dans laquelle elles le mettaient, une fois lavé. Mais il fallait d’abord le savonner, l’aplatir à coups de battoir, le rincer et l’essorer à deux, chacune le tordant à l’envers de l’autre (et non dans le même sens, comme nous le montre le célèbre conte populaire : « Les lavandières de nuit ») …

 

Le lavoir collectif était donc un endroit exclusivement féminin où les femmes des villages se retrouvaient, chacune agenouillée dans sa caisse en bois. Et malgré la rigueur du travail, c’était un des moments de la journée (le matin le plus souvent) où elles pouvaient échanger des nouvelles, commérer, chanter au rythme des battoirs. Une fois ramené à la maison, le linge était étendu pour sécher et blanchir. On disait à l’époque que pour avoir un linge bien blanc, il fallait l’exposer au clair de lune.

 

C’est ce lieu, bien entretenu par l’association, que l’on peut visiter aujourd’hui, où l’on peut se détendre dans la verdure du vallon lors des après-midi ensoleillées. Le sauvetage et la restauration du lavoir du Rago nous montre à quel point il est important de préserver ce qui nous reste d’un patrimoine, fût-il des plus modestes, dans lequel s’inscrit une partie de notre histoire.

 

Marc GONTARD, écrivain et natif de Saint-Julien.